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Hans Jonas : Les fondements biologiques de l’éthique de la responsabilité – Biologie et mécanisme

13 Sep

Hans Jonas - Principe responsabilitéJonas, pour défendre sa conception téléologique du vivant, prend pour fondement la théorie Darwinienne de l’évolution, dans le sens où c’est à partir d’acquis du Darwinisme qu’il élabore une philosophie de la biologie. Nous avons soulevé auparavant l’apparente contradiction qu’il y a ici entre le fondement de sa réflexion et les conclusions interprétatives qu’il en tire : le problème est celui du rapport entre mécanisme et finalisme. Est-il vrai que l’instauration du premier dans l’explication du vivant proscrit désormais tout usage de la téléologie pour saisir ce qu’est la vie ? En introduisant le concept de « sélection naturelle » pour l’explication du vivant et de sa diversité, Darwin semble en tout cas rendre inutile l’usage de causes finales.

Emmanuel KANT

Darwin, avec sa conception de l’évolution, est le « Newton du brin d’herbe » dont Kant pensait qu’il n’adviendrait jamais, et qu’il était même absurde de vouloir qu’il advienne : « Il est, en effet, bien certain, que nous ne pouvons même pas connaître suffisamment les êtres organisés et leur possibilité interne d’après de simples principes mécaniques de la nature, encore bien moins nous les expliquer ; et cela est si certain, que l’on peut dire hardiment qu’il est absurde pour les hommes de former un tel dessein ou d’espérer, qu’il surgira un jour quelque Newton, qui pourrait faire comprendre ne serait-ce que la production d’un brin d’herbe d’après des lois naturelles qu’aucune intention n’a ordonnées ; il faut au contraire absolument refuser ce savoir aux hommes. » (Emmanuel KANT, Critique de la faculté de juger, §75, trad. fr. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1993.). Selon Kant, il est donc nécessaire de supposer que derrière l’organisation, individuelle et générale, du vivant se tient une téléologie, notamment du fait que nous ne pouvons pas la considérer comme conforme à une loi sans cette supposition.

Selon lui, l’explication mécaniste se borne à la nature inorganique. Pour le vivant, au contraire, l’homme doit nécessairement postuler des fins objectives à l’ œuvre dans la nature. Ces fins sont d’abord la reproduction d’une forme par l’organisme : dans le fait qu’un arbre est issu d’un arbre et reproduit un arbre, une finalité est à l’ œuvre. de plus, chaque être se constitue individuellement. Ainsi, un arbre s’organise selon des lois que les seules lois de la matière ne peuvent permettre d’expliquer. Certes l’organique est composé de matière brute, mais cette génération de l’organique ne saurait être traduite par des lois telles que celles de la physique newtonienne. Enfin, seule la finalité peut rendre compte du phénomène de reconstitution de l’organique, de cette « auto-défense de la nature chez ces créatures à l’occasion d’une lésion, où le manque d’une partie, nécessaire à la conservation des parties voisines, est compensée par les autres parties » (idem, §64, p.293-294.). La reproduction de sa forme (celle de l’espèce), son organisation individuelle et la conservation de sa forme (le fait qu’un organisme, dans certaines limites, est capable de reconstruire une partie mutilée) montre qu’une finalité objective interne est à l’ œuvre dans un corps vivant. Cette finalité interne se distingue de celle externe, qui peut être appelée « utilité », « convenance ». Celle-ci, au contraire de la première, n’est que relative : elle concerne la co-adaptation et le fait que le monde est étonnamment bien organisé, comme si l’herbe avait été prévue pour la vache.

Ainsi ne pourrions-nous pas appliquer le mécanisme à la compréhension de la vie et du vivant : l’organique devenant alors le seul siège, avec l’homme, d’une finalité. Le finalisme est nécessaire pour saisir la spécificité du vivant, c’est-à-dire pour concevoir le vivant en tant que vivant. Mais la théorie de l’évolution permet d’expliquer l’organisation globale des êtres vivants, ainsi que leur constitution interne à la seule lumière de lois mécaniques. Darwin a permis de voir dans la première le simple effet d’une loi mécanique aveugle et non orientée qui régit le monde vivant : c’est la sélection naturelle. Il nous semble utile de préciser dès à présent que Darwin, si nous pouvons voir rétrospectivement en lui le père du noyau central (l’évolution) de la biologie actuelle, n’est certainement pas le seul ouvrier de l’évolutionnisme. Ce que nous trouvons dans L’origine des espèces n’est pas une création ex nihilo : Darwin, comme tout penseur, est redevable de certains de ses prédécesseurs et contemporains, tel Lamarck pour ne citer que lui. En outre, Darwin n’offre pas LA théorie de l’évolution, mais une théorie dans laquelle se glissent quelques erreurs et qui sera par la suite retouchée et développée. Le Darwinisme n’est pas la répétition de la pensée de Darwin. Pourtant, le terme même de Darwinisme, position encore revendiquée aujourd’hui par des biologistes, semble montrer que Darwin est une référence obligée pour la biologie moderne. Nous pouvons donc voir en Charles Darwin celui qui a posé les bases de la recherche sur le vivant, en cherchant des lois a-finalisées pour rendre compte de l’état actuel de celui-ci. Il faut par contre attendre la biologie moléculaire pour comprendre également l’apparente finalité interne d’un corps donné avec des lois purement mécaniques et ne faisant appel qu’à des phénomènes physico-chimiques.

Si Darwin instaure bien une explication déterministe du vivant, il semble pourtant qu’au mécanisme se mêlent encore des restes de finalisme, comme semble le faire penser le titre de son ouvrage majeur : « L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature ». Ainsi, si la sélection naturelle est bien le moteur aveugle de l’évolution, ne vise-t-elle pas en même temps la survie des organismes, voire leur perfectionnement ? « On peut dire, par métaphore, que la sélection naturelle recherche, à chaque instant et dans le monde entier, les variations les plus légères ; elle repousse celles qui sont nuisibles, elle conserve et accumule celles qui sont utiles ; elle travaille en silence, insensiblement, partout et toujours, dés que l’occasion s’en présente, pour améliorer tous les êtres organisés relativement à leurs conditions d’existence organiques et inorganiques. » (Charles Darwin, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature, trad. fr. E. Barbier, Paris, Editions La découverte, 1989, chap. IV, p.130.).

Comme le dit ici Darwin, il ne s’agit donc que de métaphores : ce n’est pas à prendre à la lettre. Mais comment pouvons nous comprendre la sélection naturelle sans recourir à un vocabulaire finaliste ? Comme le constate déjà Darwin, le concept de sélection naturelle prête à de multiples confusions (Cf. L’origine des espèces…, op. cit., p.126.). Ce n’est ni une force active, ou une puissance divine, ni un choix conscient opéré par l’individu qui viserait en quelque sorte son adaptation. Tout au plus y a-t-il une apparence de finalité, d’orientation vers un ou des buts : « A première vue, le secteur biologique semble être soumis à la finalité. Les organismes sont constitués comme selon un plan opportunément dressé et opèrent comme s’ils poursuivaient à dessein un but conscient. Mais la vérité gît dans ces deux mots « comme si ». Comme le génie de Darwin l’a montré, la finalité est seulement apparente. » (Julian HUXLEY, L’évolution en action, trad. fr. d. Lucccioni, Paris, PUF, 1956.). Mais voyons de plus près cette fameuse sélection naturelle.

Pour mieux en comprendre les mécanismes, nous nous appuyons sur Ernst Mayr. dans son Histoire de la biologie (Cf. Histoire de la biologie. diversité, évolution et hérédité, Paris, Le Livre de Poche, 1989.), il distingue cinq observations fondamentales dans la théorie de Darwin :

  1. Tout d’abord, la population des espèces devrait sans cesse augmenter si chaque individu assurait sa descendance.
  2. Pourtant, les populations restent stables, sauf exception.
  3. Les ressources naturelles, c’est-à-dire la nourriture mais également l’espace, sont en quantité limitée.
  4. dans une même population, tous les individus sont différents les uns des autres, il y a une variabilité.
  5. Plusieurs de ces différences sont transmises, héréditairement, d’une génération à une autre.

De ces observations découlent alors trois déductions :

  • A- des trois premières observations est déduit le « fait » qu’il y a une concurrence entre les divers individus et les diverses populations qui permet un équilibre de celles-ci.
  • B- de cela et de l’observation de la variabilité est déduit que l’issue (la survie ou la disparition) de la concurrence, déduite auparavant, dépend des capacités de l’individu à affronter son milieu.
  • C- de ces deux premières déductions et de l’observation du fait qu’il y a des variations est déduit que la sélection naturelle est à l’origine de la diversité du vivant (les différentes espèces) et de l’émergence de nouveauté.

Ainsi y a-t-il une variabilité (que Darwin n’explique pas, et dont l’origine sera ultérieurement découverte dans la réplication de l’AdN) au c œur du vivant. Quelques-unes des différences qui apparaissent peuvent procurer un avantage pour la descendance pour le porteur d’une de ces variations. Cet avantage passe par le fait que le porteur pourra vivre plus longtemps, et aura, par conséquent, une possibilité de reproduction plus importante. Les descendants porteurs de cette ou de ces différences seront plus nombreux que ceux qui n’en sont pas porteurs. Or les ressources sont limitées, ce qui se traduit par une pression du milieu : il ne peut pas y avoir, pour une espèce donnée, de multiplication à l’infini. Les individus porteurs de variations qui procurent un avantage pour la descendance prendront donc, petit à petit, la place des individus qui n’en sont pas dotés. La sélection naturelle permet ainsi d’expliquer la transformation et l’adaptation des différentes espèces tout en se passant de la notion de finalité, devenue inutile. L’extrême diversité du vivant repose sur la variabilité et sur la pression du milieu, et l’adaptation s’explique par la disparition des inadaptés (qui étaient en compétition, dans ce monde aux ressources finies, avec d’autres variétés). La théorie de Darwin permet de rendre compte de la finalité externe qui semblait résider dans le phénomène d’adaptation. Tout s’explique par le rôle de filtre (Le modèle du filtre a d’ailleurs été exploité dans d’autres domaines que l’explication du vivant. Il est par exemple possible, en ce qui concerne le marché, d’analyser l’équilibre entre l’offre et la demande, qui n’est planifié par aucun individu particulier, mais semble être régi par une « main invisible » comme résultant du passage à travers le filtre de la concurrence. Cf. Adam Smith, la richesse des nations.) que joue la pression du milieu.

La sélection naturelle, loin d’être un projet orienté vers et par une fin, n’est donc qu’une loi mécanique dans laquelle la cause ne vise pas l’effet, et qui n’exprime aucune finalité. Le fait par exemple que l’homme soit apparu est un « miracle » qui n’est dû qu’à un processus d’interaction entre les diverses populations, entre elles et leur milieu. L’humanité est née de cette guerre de tous contre tous et grâce à la variabilité qui est au c œur même des organismes, permettant, couplée à la contrainte exercée par le milieu, l’apparition de diverses espèces. Cela s’oppose par exemple au créationnisme (religieux) et au fixisme. Darwin défendait déjà l’origine unique de la vie. Le monde organique est une branche unique à l’origine et qui se ramifie petit à petit selon la sélection naturelle, l’homme faisant partie, avec tout ce qui vit, du même processus de déploiement du vivant.

Nous avons donc vu que la sélection naturelle n’est pas un plan préconçu. Elle n’est le fruit que de facteurs physiques et de causes mécaniques.

L’évolutionnisme est désormais une évidence, un fait, notamment grâce au recherches paléontologiques et à la découvertes de fossiles. Elle représente par conséquent l’une des références nécessaires de tout biologiste. Tous acceptent cette théorie. Comme le défendent Patrice david et Sarah Samadi, elle est devenue le noyau central des sciences du vivant : « la théorie de l’évolution est le cadre logique de toute la biologie.» (La théorie de l’évolution, une logique pour la biologie, Paris, Flammarion, 2000, p.272.). Elle permet d’expliquer la bio-diversité, mais surtout, elle a « encaissé » les diverses découvertes de la biologie au XXème siècle : ce qui aurait parfaitement pu provoquer une crise profonde pour la biologie (la mise en cause du paradigme de l’évolution), a au contraire conforter l’assise commune de celle-ci. Les apports du siècle dernier ont parfaitement été digérés par la biologie et son noyau central. Nous faisons essentiellement référence ici à la biologie génétique et moléculaire, et à la découverte centrale du gène et de l’ADN.

Dans ces conditions, il est difficile de venir contredire cette théorie, à moins de ne pas prétendre à la scientificité et de proposer au contraire une sorte de mythe qu’on ne pourra en aucun cas vérifié empiriquement, ni même falsifié. Il semble alors impossible de trouver une quelconque finalité, téléologie en dehors de l’homme et de sa faculté de représentation, notamment de fins. Il s’agira par conséquent de savoir si le finalisme défendu par Jonas est définitivement contredit par la biologie moderne, car en opposition avec elle selon le principe de non-contradiction, ou s’il n’y a pas plutôt une complémentarité entre deux approches différentes. Mais pour l’instant, nous restons encore dans le domaine de la biologie, et abordons la biologie moléculaire. En effet, même si le point de départ de Jonas est le Darwinisme, nous ne saurions nous en tenir à un simple examen de ce dernier, en mettant entre parenthèses les acquis plus tardifs de la biologie. La téléologie jonassienne du vivant doit certes s’accorder avec Darwin, mais d’autant plus avec les acquis scientifiques plus récents.

La cause de la variabilité était un mystère pour Darwin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les découvertes faites au cours du siècle dernier permettent d’assigner l’origine des variations d’un individu à l’autre aux gènes. Les mutations à l’origine de ces variations trouvent leur explication dans l’analyse de l’acide désoxyribonucléique, plus communément connu sous le nom d’ADN.

Cette molécule est ce qui détermine les différents caractères physiques d’un individu. Mais elle n’agit pas directement sur eux. Les caractères sont dus à une synthèse que réalisent d’autres molécules : les protéines. Ces protéines sont composées d’une vingtaine d’acides aminés, organisés tels les perles d’un collier. Elles forment chacune une séquence qui détermine un caractère physique. L’AdN, de son côté, contrôle ces protéines. Il est également organisé sous forme de séquences, non pas d’acides aminés mais de nucléotides (il y en a quatre sortes différentes : A, C, T, G pour adénine, cytosine, thymine et guanine). Cette séquence est conçue comme un programme écrit dans un langage (un certain enchaînement de nucléotides) déterminant le séquençage d’acides aminés des protéines. Mais entre ces deux séquences, il faut une traduction. Le langage de l’AdN (ses ordres) n’est pas tel quel « compréhensible ». Les fragments d’AdN sont ainsi retranscrits en molécules d’acide ribonucléique, ou ARN, qui sont très voisines des molécules d’AdN. Et c’est seulement à partir de cette transcription (d’AdN en ARN) que se fait la traduction. Celle-ci entraîne un certain séquençage des acides aminés au niveau des protéines, donc certains caractères physiques. Pour résumer, l’AdN est ce qui détermine les différents caractères physiques en agissant sur les protéines, cette action nécessitant une transcription en ARN puis une traduction en séquences déterminées d’acides aminés, de manière à ce que les ordres de l’AdN soient compris puis exécutés par les protéines. Nous connaissons ce décryptage du code génétique depuis bientôt une cinquantaine d’années.

En outre, l’AdN est l’objet de mutations. Celles-ci peuvent avoir lieu spontanément, sous l’effet de certains facteurs physico-chimiques : cela se traduit par la substitution d’un nucléotide par un autre. Certaines de ces mutations sont sans effet sur les séquences d’acides aminés car « le code génétique est redondant » (La théorie de l’évolution, une logique pour la biologie, op. cit., p.272.) : il y a plusieurs séquences similaires dans les brins d’AdN, donc le changement d’une séquence de nucléotides peut ne pas entraîner de modification au niveau des protéines. dans ce premier cas, la mutation est dite synonyme. Mais si la mutation entraîne une modification de l’assemblage des acides aminés, elle est alors non synonyme. Cette mutation peut n’avoir aucun effet, car tous les acides aminés n’ont pas forcément un rôle. Mais certains, par contre, exercent une fonction capitale. Leur modification peut alors se traduire par des déficiences physiques, ou à l’inverse par l’apparition de nouvelles fonction ou l’amélioration d’une fonction déjà présente.

Nous pouvons voir, dans ce mécanisme de mutation, qui est au c œur du vivant lui-même, la cause mécanique de la variabilité qu’avait remarquée Darwin : « Les mutations, en modifiant la fonction des gènes, créent donc le domaine de variation sur lequel s’opère le tri par la sélection naturelle » ( Idem, p38.). Loin d’infirmer la théorie de Darwin, la découverte de l’AdN et de son rôle vient l’appuyer et permet de voir, dans les différences entre individus, l’effet combiné de la variabilité, liée au phénomène de mutations au c œur même des molécules d’AdN, et de la pression exercée par le milieu. L’avantage pour la descendance réside dans l’acquisition (reposant en dernière instance sur les mutations) par certains individus de nouvelles fonctions ou dans l’amélioration de certaines fonctions existantes, qui seront transmises à leurs descendants. L’histoire du vivant est donc celle de mutations ayant favorisé la survie de certains individus. Ces mutations, à une échelle importante, sont à l’origine de la diversité des espèces vivantes et de l’apparition de nouvelles espèces.

De ce point de vue, l’apparition de l’homme est le fruit d’une longue évolution qui a commencé avec les premières cellules vivantes, des organismes initiaux (Se pose alors le problème abyssal de l’émergence de la vie, qui continue encore aujourd’hui d’animer les débats scientifiques.) très simples (du point de vue de leur organisation), et qui s’est déroulée dans le temps sous forme d’apparition d’erreurs (les mutations) dans le langage qui détermine les caractères physiques.

Cependant, l’évolution serait avant tout due à la duplication d’AdN et à leur réassortiment, et ensuite seulement au phénomène de mutation : ce dernier serait bien un facteur de l’évolution, mais second par rapport à la duplication et à la restructuration de l’AdN (Cf. François JACOB, « Qu’est-ce que la vie ? », in Y. MICHAUd (sous la direction de), Université de tous les savoirs, « Qu’est-ce que la vie ? », volume 1, Paris, Editions Odile Jacob, juin 2000.). Un enfant possède p our moitié le capital génétique de sa mère, et pour autre moitié celui de son père. La nouveauté apparaît d’abord par la synthèse de ces deux codes.

Quoi qu’il en soit, notre but était de montrer que la biologie se passe entièrement de la finalité dans ses explications de ce qu’est la vie (Nous aurons ultérieurement l’occasion de voir que les biologistes n’interrogent en fait plus la vie dans leurs laboratoires. ). Nulle part n’intervient de plan préconçu ou de dessein. La vie d’un organisme s’explique par un ensemble de phénomènes physico-chimiques. L’évolution elle-même n’est due qu’à des causes mécaniques. La biologie actuelle insère donc le vivant dans un système d’explication causale de type mécanique, où sélection naturelle, AdN et autres molécules déterminent la vie.

Le domaine des fins est alors réduit à une infime fraction du vivant : l’homme. Seul ce dernier peut, grâce à sa conscience, se poser des fins. La représentations de fins, de buts, a une portée causale. C’est par exemple en se posant la fin d’être en bonne santé que l’homme va se comporter d’une certaine manière : choix d’une alimentation saine, pratique d’activité physique, …etc. En ce sens, nous pouvons avoir une compréhension téléologique de la vie humaine. Nous ne pouvons d’ailleurs comprendre les actions humaines qu’en décelant les raisons qui les ont motivées. derrière cela, nous retrouvons la distinction opérée par dilthey entre sciences de la nature et sciences de l’esprit. Tandis que les premières ont pour mission d’expliquer des phénomènes, les secondes, elles, cherchent une compréhension. Expliquer suppose de rechercher les causes prochaines d’un effet : c’est ce que font la physique, la chimie ou bien encore la biologie. Comprendre au contraire suppose de faire appel aux motivations, individuelles ou collectives, qui déterminent telle ou telle façon d’agir. Ainsi l’action d’un homme ne peut-elle être comprise indépendamment de l’examen de ses raisons personnelles, et de l’analyse des significations partagées par une société. Nous pouvons certes expliquer le comportement de quelqu’un par des causes immédiates, par une certaine relation entre cause et effet mais ne perdrions-nous pas alors toute la spécificité de l’homme, à savoir que c’est un être capable de se poser des fins, de se fixer des objectifs ?

Il semble inévitable de considérer que l’apparition de l’homme dans la nature y a introduit un nouveau principe de causalité. Nous retrouvons alors la distinction kantienne entre nature et liberté. L’ensemble du monde, inorganique comme organique (c’est là l’un des acquis de la biologie dont ne bénéficiait pas Kant), est expliqué par des lois mécaniques qui régissent les différents phénomènes. Mais l’homme est l’exception de cet ordre : étant libre, il n’est pas soumis, ou du moins peut ne pas être totalement soumis à ces lois physiques. Seul l’être humain a la capacité de se poser des fins. C’est d’ailleurs sur cette liberté qu’est fondée l’éthique. S’il n’était pas libre de déterminer lui-même ses actes, les jugements moraux n’auraient aucun sens. Certes l’homme appartient à la nature, et comme tel est soumis aux mêmes lois que tous les autres vivants ainsi que la matière inanimée, mais son esprit lui permet d’appartenir à une toute autre sphère : celui du règne des fins.

Il y aurait donc, à l’intérieur même de la nature, deux sphères : celle formée par le vivant, l’organique ; et celle de l’esprit, que seul l’homme occupe avec, en plus, l’appartenance à la première sphère. Seul un être conscient peut être compris téléologiquement : la finalité est un phénomène de la conscience, une caractéristique proprement humaine. Seul l’homme est un être tout d’abord déterminé (mécaniquement) qui peut ensuite se déterminer lui-même par une possibilité propre à lui (celle de se poser des fins, c’est-à-dire la liberté). C’est d’ailleurs à cette fabuleuse liberté que nous devons la possibilité de connaître (à moins de supposer que la connaissance est une fin objective du monde lui-même). Par la conscience, l’homme est donc un monde dans le monde objectif : c’est un monde de liberté et de connaissance de son propre monde et du monde objectif.

Plan de l’étude de Hans Jonas * :

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Voici la version PDF de mon mémoire :
Mémoire consacré à Hans Jonas : responsabilité et utopie technologique

Mémoire consacré à Hans JONAS : Responsabilité et utopie technologique


 
 

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