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Qu’est-ce que le juste ? La conception de Michael Walzer

15 Déc

La justice est l’un des objets par excellence de la philosophie morale. Depuis Platon, les philosophes n’ont cessé de questionner ce qu’est le juste. Je vous propose aujourd’hui d’examiner la position du philosophe Walzer, notamment au travers de son oeuvre “Sphères de justice”.

La justice comprise comme égalité complexe

En premier lieu, Walzer associe les concepts de justice et d’égalité. Traditionnellement, l’égalité est comprise au sens littéral : l’égalité simple ou arithmétique. L’originalité de Walzer réside dans le fait qu’il parle au contraire d’égalité complexe ou plurielle. Cela signifie tout simplement que la justice s’applique différemment selon les groupes humains et, notamment, selon les modes de vie.

Loin de toute conception abstraite du Bien et de toute idéalisme type platonicien, Walzer entend “rester dans la caverne, dans la cité, sur la terre ferme”. La justice est à comprendre comme “distribution des biens”, répartition égalitaire des biens sociaux entre les hommes au sein d’un groupe, d’une communauté. Qu’entend-on par “biens” ? Il s’agit de tout type d’activités, les talents, la capacité économique, les us, etc. Ces biens sont l’essence même de la communauté : ils constituent son être. Bien évidemment antérieurs à la répartition, ils doivent être répartis au sein de la communauté.

 

michael walzer - Sphères de justice

L’individu se définit avant tout comme membre d’une communauté. La question de la justice ne se pose donc pas selon l’individu, mais par rapport à la communauté. Dès lors, la question de la justice sera celle de la répartition au sein d’une communauté donnée, presque close (en “relative autonomie”), sans réelle référence à un quelconque universel. A noter dès à présent : toutes les communautés ont pour point commun de chercher à rendre la justice selon les moeurs du pays.

La répartition des biens : le principe unique de la justice

La société humaine est une communauté distributive” : les hommes se rassemblent pour partager distribuer et échanger, et notamment partager le travail. La société est par ailleurs caractérisée par une multiplicités de procédures distributives. “La justice est une construction humaine, et il est douteux qu’elle puisse se réaliser d’une seule manière”.

La justice réside donc dans la distribution de biens entre des personnes au sein d’une “sphère”, selon des principes propres à cette sphère. Ce point est important. Pour Walzer les sphères sont littéralement juxtaposées, avec une application de la justice propre à chacune, sans que les biens de l’une soient interchangeables avec les biens de l’autre (même si l’argent est bien un moyen de mise en correspondance).

Par ailleurs, les critères de distribution sont toujours multiples : mérite, qualification,sang, amitié, besoin, etc.

Au final, une société sera juste si elle reste fidèle, dans sa distribution des biens, aux compréhensions partagées par ses membres.

Le principe unique de la justice est donc le principe de la répartition ouverte. Celui-ci s’énonce de la manière suivante :

Aucun bien X ne peut être réparti à des hommes et des femmes qui possèdent un bien Y du seul fait qu’ils possèdent Y”.

Si dans son application, ce principe est nécessairement soumis à la diversité et aux particularités, son expression demeure universelle.

La difficulté réside dans la distinction des sphères et de leurs limites, ainsi que dans la définition du Bien correspondant à chacune. In fine, l’interprétation joue un rôle central. Chaque communauté, chaque sphère interprétera l’ensemble des significations partagées, relatives aux biens à partager. La répartition sera juste ou injuste selon ces significations. On voit donc que la justice n’est pas objective (contrairement par exemple à la position du philosophe Hans Jonas). Elle n’est pas cependant totalement subjective puisqu’elle est établie par la conscience collective.

En fin de compte, on le voit, l’homme est conçu comme producteur de sens.

Communauté et humanité

Walzer choisit la communauté comme référence de la justice, et non l’humanité. On peut néanmoins interroger ce choix théorique. Walzer lui-même répond aux éventuelles critiques en exposant l’anti-thèse :

  • l’humanité comme communauté politique n’exist pas encore. Il faudrait donc s’appuyer sur une fiction, sur des hypothèse imaginatives pour fonder la justice sur l’humanité. Le seul critère certain est géographique : la terre entière. Au contraire, les sphères, les communautés humaines existent : on peut partir du réel pour déterminer la justice et son application.

  • les valeurs de l’humanité n’existent pas plus que la communauté humaine : elles resteraient à inventer, et surtout à inventer en étant différentes de celles des communautés actuellement existantes. ll s’agirait donc d’un processus de destruction des valeurs existantes actuellement.

  • cette communauté ne pourrait résulter que d’une sorte de contrat social de chacun avec chacun (et non des communautés entre elles), et donc de la destruction des appartenances existantes. Or nous ne possédons pas d’expérience ou de modèle pour un tel contrat. Chacun serait seulement un homme, sans appartenance. Dans tous les cas, l’individu serait broyé par l’état : cela favoriserait le développement du totalitarisme.

On l’a vu, pour Walzer, l’homme reste avant tout un être communautaire, défini par son appartenance communautaire. Les individus sont en relation les uns avec les autres au travers des biens.

Une communauté à part : la communauté politique

Si les communautés sont multiples et juxtaposées, l’une d’entre elles se démarquent pourtant : la communauté politique. Seule cete communaté permet que soit exercée la justice distributive. Le premier bien à partager, c’est l’appartenance. Celle-ci constitue donc un bien transcendant. En un sens, la communauté est le principe archéologique de toute communauté.

Il y a traditionnelleme deux points de vue extrême concernant l’appartenance :

  • pas d’appartenance (état de nature)

  • tout est déjà partagé (individu totalement déterminé l’état)

C’est réduire l’égalité à l’égalité simple et méconnaître le caractère complexe des différentes sphères d’activité.

Conclusion

Au final, la position Walzer est intéressante par sa prise compte de la part communautaire irréductible de l’homme. L’homme conçu comme être atomique et purement égoïste est une vue de l’esprit qui ignore une large part la réalité humaine : l’appartenance de l’homme à une société qui le transcende.

Néanmoins, le risque est grand de tomber dans le communautarisme et ses travers. Comment condamner des pratiques inhumaines en cloisonnant le Bien dans des petites sphères en niant toute communauté humaine ? Si des sociétés se livrent à des actes barbares, comment les condamner s’ils découlent des significations partagées ?

A l’heure où des décisions économiques et écologiques urgentes sont à prendre à l’échelle mondiale, comment se contenter de ce système de sphères  juxtaposées ? Peut-on se passer de construire une communauté humaine à l’heure de la crise ?


 
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