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Les réductionnismes scientifiques

20 Déc

Scientifiques et réductionnismeLe thème du jour sera le réductionnisme (scientifique). Pourquoi aborder ce thème ? Tout simplement parce qu’à la suite de mon billet consacré aux atomes et à la question de leur existence (Cf. http://djaphil.fr/sujets/les-atomes-existent-ils-rapport-entre-sciences-et-monde-296), le réductionnisme s’est avéré à chaque fois être le coeur du problème dans les très nombreux échanges partant du billet en question.

Il s’agira donc de définir le réductionnisme et de montrer en quel(s) sens il s’avère être, dans certains cas, une illusion métaphysique, du moins une thèse métaphysique que ses partisans ne voient que très rarement comme telle.

Qu’est-ce que le réductionnisme ?

Le réductionnisme, c’est le fait de réduire l’explication des choses, du monde au plus simple, au plus élémentaire : on pourrait ainsi expliquer le monde et les différents évènements grâce au niveau d’organisation le plus élémentaire. Dans ce cadre, la pensée, par exemple, peut être expliquée suffisamment par son organe, le cerveau, et, au coeur de celui-ci, par les échanges électriques au niveau des éléments physiques. C’est notamment la thèse de J-P CHANGEUX, in L’homme neuronal.

In fine, la physique serait la science suprême, la seule autorisée à prononcer un discours cohérent et sensé sur le monde et tout ce qu’il contient. Tout peut se réduire à de la matière et donc à une explication physico-chimique. Et cette explication physico-chimique permet de rendre compte de tout phénomène de manière suffisante. Si nous n’y parvenons pas encore dans certains domaines, c’est juste une question de temps avant d’avoir une connaissance suffisante.

Pierre Jacob exprime ainsi cette croyance : cela revient à penser que « tous les phénomènes chimiques, biologiques, psychologiques, linguistiques, culturels et sociologiques sont des phénomènes physiques qui obéissent aux lois fondamentales de la physique » (Esprit et cerveau). Cette thèse est celle dite du physicalisme, mais assi dans une certaine mesure du matérialisme.

Nous allons voir que cette thèse peut se comprendre selon plusieurs perspectives gnoséologiques

Réductionnisme méthodologique

Réduire les phénomènes à du physico-chimique, analyser le monde en le décomposant en briques élémentaires est la méthode même des sciences dures. C’est grâce à cette méthode que leur objet s’est précisé, affiné et que les conséquences pratiques (techno-sciences) peuvent rythmer notre quotidien.

Il s’agit, d’un point de vue épistémologique, de « remonter » à des principes simples pour mieux expliquer le monde dans sa complexité. La réductionnisme, en ce sens, consiste à simplifier le monde et son apparence pour en élaborer une connaissance scientifique qui permet, entre autre, d’agir sur celui-ci pour « s’en rendre comme maître et possesseur » (Descartes, Discours de la méthode).

Nous obtenons donc ici la définition suivante du réductionnisme : c’est une méthode, la méthode scientifique par excellence, qui consiste à réduire les phénomènes à des objets physico-chimiques dont nous pouvons expliquer les interactions grâce à un nombre limité de principes et de lois. C’est une méthode qui permet d’organiser le réel afin de pouvoir produire des explications, élaborer des prédictions et agir sur la nature avec une puissance gigantesque.

Ce réductionnisme peut être qualifié d’heuristique : il permet de générer de nouvelles connaissances, d’en augmenter la portée… etc.

Il ne sera pas question, dans ce billet de critiquer ce réductionnisme puisqu’il s’agit de l’essence même des sciences dures : critiquer le réductionnisme méthodologique ou épistémologique reviendrait à s’opposer aux sciences dures. Restons rationnels !

Réductionnisme ontologique

Outre ce premier réductionnisme, on trouve un second réductionnisme que l’on confond malheureusement à tort avec le premier : le réductionnisme ontologique. Nous avons vu avant que le réductionnisme méthodologique est, comme son nom l’indique, une méthode pour développer des connaissances de la nature. Mais nous n’avons pas confondu méthode et réalité. Cette confusion, c’est l’erreur que commet le réductionnisme ontologique.

Pour ce dernier, le monde est réellement constitué des briques élémentaires et des relations élémentaires que l’on a « découvert » avec les sciences dures. Pour ce second réductionnisme, les sciences physiques et chimiques nous décrivent le monde de manière neutre, objective : elles nous donnent à voir le monde tel qu’il est essentiellement. Au fond, le monde est physique. Surtout, il n’est QUE physique. Nous croyons à tort que le monde est complexe, mais la science nous permettrait d’apercevoir le coeur même du monde : les atomes et les différentes lois physiques.

Cette position n’est pas, en tant que telle, scientifique mais… métaphysique. Rien, dans les sciences, ne permet de dire que le monde se limite aux objets qu’elles considèrent. C’est une erreur de se croire scientifique quand on est réductionniste au sens ontologique : on défend au contraire déjà une vision métaphysique du monde.

Conséquences du réductionnisme ontologique

A priori, un réductionniste ontologique aura tendant à défendre une conception déterministe du monde. Puisque tout est physique, puisque, par ailleurs, le réel est régi par des lois universelles que mettent au jour les sciences dures, alors tout est, en théorie, prévisible. Un événement peut toujours s’expliquer par un événement antérieur dont il découle selon une relation de causalité déterminée et connaissable. Un événément physique mais aussi un événement concernant la vie de l’esprit aura toujours une cause physique antérieure. Selon ce réductionniste, il sera à terme possible d’expliquer par la physique le fonctionnement du cerveau, organe de la pensée humaine. Pour un tel réductionniste, une pensée n’est explicable, par exemple, qu’en tant qu’état physico-chimique du cerveau. Intimement, le monde de la pensée n’est que physico-chimique. Et si, finalement, tout comportement, toute idée pouvaient être expliqués par la seule physique ? Doux mais inquiétant rêve d’un total déterminisme du monde des représentations. Fantasme au combien révélateur d’une approche unifiante et unifiée de la réalité.

Découlant de la remarque précédente, la suppression de la notion de liberté accompagne ce réductionnisme : la liberté n’est qu’une illusion, conséquence de notre connaissance pour l’instant imparfaite des lois physique de la pensée. Si le réductionniste est conséquent, il nie la valeur intrinsèque de l’art et l’utilité d’activités telles que la politique. De même, la morale n’a plus d’intérêt. Seule la physique explique et, finalement, justifie les comportements et choix humains.

Le réductionniste, on le voit, établit une échelle de valeur dans l’ordre de la connaissance et des activités humaines : toute autre science que la physique est dévalorisée (comme approche épistémique). Remarquons d’ailleurs ici le fréquent dédain pour la philosophie, discipline abstraite, sans argument réels, c’est-à-dire… physiques. Tout autre activité que les sciences dures est finalement dépréciée.

Epistémologiquement et ontologiquement, le réductionniste est moniste : pour lui la réalité est une (monisme ontologique), pour lui la science légitime est une et prend la forme de la physique (monisme épistémologique).

On le voit, le réductionniste réduit finalement… le monde lui-même. Si tout se réduit à la physique, la réalité humaine notamment implose littéralement. Le réductionniste ne comprend pas l’art, il ne comprend pas le monde humain en général (s’il est cohérent avec sa théorie métaphysique).

La liste des conséquences contre-intuitives de ce réductionnisme est longue. Nous la laisserons arbitrairement en l’état.

Critique du réductionnisme ontologique

Quasi systématiquement, ce réductionniste va justifier sa thèse par une exigence scientifique et par la méthode même de la science : il faudrait selon lui n’analyser le monde que par le prisme des sciences dures. Mais le réductionniste fait un saut non scientifique, encore une fois, en étendant son réductionnisme au-delà de la sphère de la méthode. Ce faisant, il se contredit lui-même puisque cherchant à n’être que scientifique, il en vient à adopter une position métaphysique qui n’est pas démontrée ni démontrable par la science elle-même.

Bien souvent, il aura recours à l’argument du rasoir d’Okham (« pluralitas non est ponenda sine necessitate » ) pour justifier son physicalisme et le fait de réduire le monde aux seules entités physiques. Mais ce principe est appliqué en dehors de la sphères des sciences (discours se voulant ontologique, décrivant le monde dans son essence) avec, cependant, un sens scientifique. Bien évidemment qu’il faut privilégier les explications simples en sciences et éviter les théories ad hoc (Cf. en contre-exemple le phlogistique). Mais le principe n’a aucune portée ontologique, seulement une portée logique.

Une autre critique, plus importante, consiste à rappeler que dans de très nombreux cas, le tout n’est pas la somme des parties. Autrement dit, il est faux de penser que l’analyse et la réduction à des briques élémentaires permet d’expliquer le monde et les phénomènes. Ce n’est pas parce que la pensée a, bien évidemment, un pré-requis physique (le cerveau , les neurones, les échanges électriques…) qu’une explication physique est suffisante et satisfaisante. Expliquer les représentations humaines n’a aucun sens pertinent si l’on en reste à l’échelle physique. L’esprit humain est un objet d’étude scientifique (au sens de sciences dures). Mais c’est AUSSI un objet des sciences humaines. Il suffit de regarder (si l’on reste dans les sciences dures) la biologie pour se rendre compte que la prise en compte d’une échelle plus globale (et pas seulement atomique) est nécessaire dans bien des cas, notamment à l’échelle macroscopique. Du nouveau peut apparaître avec les systèmes d’organisation complexe.

La pensée en est un parfait exemple. Bien sûr que la pensée présuppose le cerveau et son fonctionnement explicable en termes physiques, mais à cette échelle d’organisation, l’approche purement physique manque la complexité du réel en le réduisant en des briques physiques élémentaires. A côté de la physique, nous pouvons analyser la pensée grâce aux approches sociologiques, philosophiques, psychologiques… Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des arguments concernant la causalité de la pensée sur le corps et vice-versa. Descartes s’y était déjà cassé les dents. Nous n’avons certainement pas les outils conceptuels adéquats pour penser de manière unifiée et satisfaisante la complexité du réel.

Soyons honnêtes : ll faut faire preuve de débilité (au sens étymologique) pour prétendre apporter une explication suffisante de la morale, de l’esthétique ou de la pensée par la seule physique. C’est non seulement une position non scientifique, mais surtout une thèse arrogante et méprisante. A l’inverse, c’est une preuve d’ouverture d’esprit que d’accepter le réductionnisme méthodologique comme nécessité pour les sciences, à côté des autres approches du réel. J’oserai la thèse suivante : le réductionniste ontologique ignore le sens de l’art ou de la morale lorsqu’il prétend en rendre compte par la seule physique. Il fait l’explication de ce qu’il croit (à tort) être la morale et l’art. Mais il ne fait aucunement une explication de ce qu’est l’art et la morale selon un approche intellectuellement suffisante.

Et si la présence croissante de l’informatique dans nos sociétés était finalement l’une des causes de l’importance croissante de ce genre de théories, devenant finalement le paradigme illusoire de la pensée humaine ? A force de parler d’intelligence artificielle et de déléguer une part importante de notre travail aux machines, on en est venu à une mé-compréhension de la pensée et à une simplification, une réduction simpliste de celle-ci. La pensée ne serait que ratiocination, calcul. Un ordinateur pourrait finalement à terme reproduire le mécanisme de l’intelligence humaine et de ses différentes productions. Cette thèse (que l’on retrouve par exemple dans le computationnalisme) part d’une compréhension erronée de l’homme car simplificatrice à l’extrême.

Finalement, si le réductionnisme est fortement heuristique, il devient dangereux et appauvrissant lorsqu’on l’applique en dehors de sa sphère légitime. Souscrire au réductionnisme ontologique, c’est construire un monde humain bien terne et intellectuellement très pauvre. C’est très certainement rassurant pour le réductionniste ontologique : il pense avoir saisi la susbtantifique moëlle de l’univers et s’y accroche comme à une bouée au milieu de l’océan. Il conviendrait néanmoins d’interroger les raisons qui peuvent expliquer un tel attachement au savoir scientifique, une telle force de la croyance en la Vérité scientifique.

Quoi qu’il en soit, le réductionnisme ontologique constitue un mythe auquel l’être humain peut être tenté de s’attacher au cours de sa vie intellectuelle. Des pensées telles que celle de Friedrich NIETZSCHE ou d’Edgar MORIN s’avèreront bénéfiques pour se diriger au contraire vers une approche non simplicatrice et démystifiante du réel dans sa complexité.


 
6 commentaires

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  1. Dominique

    27 avril 2011 à 16:16

    Billet intéressant qui va dans le sens de ma note du 24 avril éditée sur mon site. En gros le principe d’OCKHAM réductionnisme est un oxymoron .

    En revanche, l’approche holiste a le devoir de l’utiliser car le sens « montant » de l’entropie et de la complexité contraint de poser des prémisses fondatrices à partir d’un minima incontournable, d’une entité ultime » dont le sens ontologique doit être guidée par une démarche logico-déductive contrainte par la simplicité. Cet énoncé n’est pas évident mais en fait c’est un truisme si l’on veut partir de rien.. .

     
  2. bailly

    13 août 2011 à 17:23

    pouvez en quelques phrases m’expliquer le réductionnisme méthodologique et métaphysique. Mais vraiment en simplifiant les mots dans un français plus compréhensible par les jeunes ! merci et si vous avez des exemples simple merci

     
  3. Pierre

    8 octobre 2011 à 22:53

    L’un est un simple principe de méthode (on fait comme si), l’autre est une réalité.

     
  4. Jules.LT

    18 septembre 2014 à 22:20

    Les scientifiques contemporains parlent de « phénomènes émergents » pour désigner ce qui a un niveau de complexité tel qu’il devient plus efficace de le décrire par de nouvelles règles à son échelle plutôt que d’essayer de déduire son comportement en se basant sur celui de ses composants basiques.

     
  5. Simon

    2 décembre 2016 à 12:47

    Cet article insulte les reductionniste en disant qu’ils ont une vision erronée de l’homme. Or n’est-ce pas là prétendre posséder soi-même la vérité absolue. Douce hypocrisie, quand tu nous tiens.

     
  6. admin

    6 décembre 2016 à 10:08

    Les mots ayant un sens, je ne relève pas d’insulte pour ma part dans mon article.
    L’argument de l’auto-contradiction est un classique. Néanmoins, il ne me semble pas dire que je sais ce qu’est le réel.
    Au fond, je suis pour une approche multiple, complexe, complémentaire du réel et non une approche qui tenterait de réduire la réalité à du pur physico-chimique.