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Mémoire consacré à Hans Jonas : introduction

13 Sep

Hans Jonas - Principe responsabilitéLes thèses défendues par Hans Jonas dans Le principe responsabilité le placent à l’écart de la pensée actuelle. Sa conception moniste et finaliste du vivant, l’objectivité du bien, le recours à la métaphysique et les conséquences politiques de sa pensée font que celle-ci semble ne pas pouvoir s’insérer dans la panorama actuel de la philosophie. Cependant, les problèmes abordés par le philosophe se révèlent être d’actualité. Abordant le libéralisme par le biais des technologies, Jonas pénètre au cœur de l’utopie technologique qui anime l’homme moderne et qui risque de se transformer en menace pour l’humanité toute entière. Cette utopie, selon laquelle le bonheur réside dans la propriété d’objets technologique, nous apportant un confort de plus en plus important, n’est pas sans avoir des conséquences sur l’environnement et pourrait donc, à plus ou moins long terme, provoquer la disparition des générations futures.

Nous consacrons notre étude à la responsabilité telle que la conceptualise Hans Jonas, c’est-à-dire la prise de conscience et les changements de comportements qu’exigent de nous les conséquences à la fois écologiques et humanitaires de l’utopie technologique et du système économique mondial qui la nourrit.

Pour fonder son éthique de la responsabilité, Hans Jonas prend appui sur des données de la biologie, plus précisément de la théorie de l’évolution. Le but de l’auteur du Principe responsabilité est de montrer que le Bien n’est pas un fait humain mais précède au contraire la subjectivité et est présent dans la nature, notamment dans les organismes, sous la forme de fins objectives, indépendantes de tout jugement de valeur. Pour cela, Jonas développe une ontologie du vivant, du « phénomène de la vie ». Défendre cette thèse de l’objectivité du bien, c’est, semble-t-il, se mettre en désaccord avec la discipline qu’il prend pourtant comme point d’appui. En effet, Darwin n’a-t-il pas ruiné l’explication téléologique du vivant en introduisant l’idée que c’est une sélection naturelle qui est à l’origine de l’évolution, en élargissant l’utilisation des explications mécanistes au vivant ?

Le problème est donc de savoir si la position de Jonas est tenable ou si l’évolutionnisme, compris comme cadre logique général de toutes les branches de la biologie, ne vient pas la sanctionner. Si Jonas est autorisé à défendre sa conception téléologique du vivant, il s’agit alors de savoir dans quelle mesure nous pouvons trouver un accord (nécessaire) entre sa pensée et les acquis de l’évolutionnisme.

En outre, Jonas soutient une conception moniste de la vie, c’est-à-dire qu’il pense qu’il y a une continuité entre le phénomène de la conscience et celui de la vie : l’apparition de la conscience ne représente pas un saut. Elle se situe dans le prolongement de l’organique. Il s’oppose ainsi au dualisme d’origine cartésienne entre la substance étendue et la substance pensante, entre le corps et l’esprit. Il est alors d’autant plus étonnant que Jonas prenne appui sur une science s’inscrivant dans l’une des branches de ce dualisme que pourtant il condamne. Comment peut-il en effet défendre une totale continuité entre l’homme et les animaux, entre l’esprit et le vivant inférieur, alors qu’il appuie sa réflexion sur une discipline qui par définition pose la différence entre les deux, dans le sens où seul l’homme, de par son esprit, peut être compris téléologiquement, tandis que le vivant non conscient, c’est-à-dire le reste du monde vivant, doit être expliqué par des causes mécaniques, par un système de causes et d’effets où ne prend place aucune finalité ?

Cette continuité peut prendre deux formes : soit nous considérons que l’homme ne se distingue pas du reste du vivant, qu’il peut être compris selon le seul mécanisme, que la subjectivité et ses représentations de fins ne sont qu’une illusion, une « simple musique d’accompagnement », ces représentations n’ayant aucun pouvoir causal ; soit nous faisons le mouvement inverse et élargissons le règne des fins au vivant dans son ensemble, et même à l’être, en comprenant ainsi l’inférieur à la lumière du supérieur (l’esprit). Jonas, pour sa part, soutient cette seconde solution. Mais une telle conception permet-elle de saisir la spécificité humaine ?

Le monisme et le finalisme de Hans Jonas pourraient faire penser que nous sommes responsables de l’ensemble du vivant, voire de l’être : le bien étant présent objectivement. Cependant, c’est une responsabilité envers les générations futures que soutient Jonas. Comment peut-il, alors, assigner une telle limite à la responsabilité ? En quel sens sommes-nous avant tout responsables de l’humanité future ? Qu’est-ce qui permet d’attribuer à l’homme davantage de valeur qu’au reste du vivant, alors que le vivant est placé sous le signe de l’unité ? Il s’agira ainsi de savoir en quel sens l’homme doit exister.

Mais la légitimation théorique de l’obligation d’exister de l’humanité, essentiellement basée sur une métaphysique d’inspiration leibnizienne, ne rend pas nécessaire le sentiment de responsabilité. La question se pose donc de savoir comment ce sentiment peut apparaître, être suscité. D’autre part, Hans Jonas nous invite à éprouver de la crainte à l’idée que l’humanité puisse disparaître. Le sentiment de responsabilité se traduit-il alors par un tel sentiment négatif, ou n’est-il pas avant tout positif ? Se sentir responsable de l’humanité, n’est-ce pas l’aimer, lui attribuer de la valeur ?

D’un autre côté, Hans Jonas critique l’utopie technologique et s’élève contre elle, notamment du fait que cette utopie mettrait en jeu l’existence de l’humanité. Ainsi l’homme moderne menacerait-il l’humanité future de par sa trop importante utilisation des nouvelles technologies. Mais cette menace est-elle réelle ? Devons-nous réellement nous sentir responsables de nos descendants ? Il s’agit de savoir si cette menace est de l’ordre du fait, ou si Jonas ne fait pas au contraire preuve d’un pessimisme irrationnel. La réponse à cette interrogation n’est pas sans avoir des conséquences sur notre sentiment de responsabilité.

La responsabilité jonassienne semble n’avoir pour objet que l’humanité future. Cependant, nous pouvons penser qu’il est préférable de penser d’abord aux générations actuelles, notamment aux populations défavorisées. N’ont-elles pas la priorité sur les générations futures ? Jonas prend cependant en considération les « damnés de la terre » et fait rentrer le problème des inégalités dans sa critique de l’utopie technologique. Ne s’agit-il pas, avant tout, de réduire les inégalités mondiales, c’est-à-dire de relever le niveau de vie des peuples les plus démunis, et, ce faisant, de prendre en compte l’obligation d’exister de l’humanité ? Nous serions ainsi responsables et des plus démunis, et de l’humanité future. Mais la question se pose alors de savoir si nous pouvons viser une communauté mondiale, si nous pouvons prendre l’humanité comme communauté de référence pour la distribution, la répartition des biens ou si, au contraire, les communautés politiques existantes sont les seules références possibles.

Enfin, la responsabilité est une obligation, c’est un devoir. C’est en tout cas ce que soutient le philosophe allemand. Mais comment se fait-il, alors, que nos sociétés continuent d’agir de manière irresponsable en restant dans l’utopie technologique ? Quelles sont les raisons pour lesquelles nous ne nous sentons pas responsables des populations déshéritées ni de nos descendants ? Cela est-il dû à la grande distance qui nous sépare d’elles ? La raison ne se situe-t-elle pas au contraire au cœur de l’utopie technologique ?

Bref, nous essaierons, essentiellement à la lumière du Principe responsabilité, de savoir ce que signifie être responsable dans un monde libéral et technologique.

Plan de l’étude de Hans Jonas * :

* Cliquer sur l’un des liens pour accéder au chapitre correspondant.
Voici la version PDF de mon mémoire :

Mémoire consacré à Hans Jonas : responsabilité et utopie technologique

Mémoire consacré à Hans JONAS : Responsabilité et utopie technologique


 
9 commentaires

Classé dans hans-jonas

 

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  1. Giacomo

    17 novembre 2008 à 15:22

    Bonjour,
    j’aimerais savoir plus de Hans Jonas en lisant votre mémoire. Où puis-je le trouver en PDF ?

    Merci

     
  2. Pierre

    3 janvier 2009 à 15:44

    Bonjour,

    Je n’ai plus la version électronique sous la main. Je peux peut-être le retrouver, mais pas dans l’immédiat.

     
  3. Eto

    11 août 2009 à 20:12

    Bonjour,
    Tout comme Giacomo, je suis intéressé par les travaux de Jonas et je serais très heureux de lire votre contribution.

    Par ailleurs, une critique des biotechnologies fondée sur des présupposés métaphysiques et/ou théologiques vous parait-ele réellemnt opératoire? Il me semble que c’est en se situant DANS le terrain de la science (et non hors: Bachelard ) qu’il faut donner des limites à la civilisation technicisée.

     
  4. Djaphil

    13 avril 2010 à 22:11

    La science est et doit rester muette en terme de préconisations ou d’interdictions morales.

    Seules les réflexions philosophiques et sociales peuvent déterminer les limites d’application.
    La bioéthique reste avant tout une discipline philosophique, bien qu’elle présuppose des connaissances scientifiques.

    Toute philosophie qui prétend ne pas être métaphysique reste pour moi suspecte (y compris la philosophie analytique). Par contre, il faut clairement rester athée dans ce genre de réflexion.

     
  5. Pierre

    24 avril 2010 à 11:38

    Comme vous pouvez le voir ci-dessus, je viens de mettre à disposition la version électronique de mon mémoire, déjà vieux de 8 ans !

     
  6. Diarra Françoise

    10 mars 2011 à 12:01

    Bonjour, j’ai beaucoup apprécié vôtre travail sur Hans Jonas qui est peu connu dans les francophones. En fait, mon projet de thèse était consacré à Hans Jonas l’an passé. Je pense que nous devons vraiment faire connaitre d’avantage Jonas dans les pays francophones car sa philosophie s’impose aujourd’hui en tant nécessité absolue dans la lutte contre le réchauffement climatique. Si l’homme refuse la responsabilité qui lui revient, il aura failli dans la réalisation de son plus grand défi sur terre (Jonas, Hans). Merci !

     
  7. Pierre

    12 mars 2011 à 2:24

    C’est gentil.
    Effectivement Hans Jonas restera dans l’histoire de la philosophie comme le philosophe qui aura théorisé le problème majeur du XXIème siècle et des esquisses de solutions.
    Un livre comme « Comment les riches détruisent la planète » de Hervé Kempf (2007 de mémoire) fait d’ailleurs référence assez rapidement à Jonas !

     
  8. Martyna

    14 novembre 2013 à 15:10

    Pierre, un enorme merci depuis la Pologne. Votre site m’est fort utile pour preparer un examen. Cordialement! M.(pardonnez les accents…)

     
  9. Gregory

    30 décembre 2013 à 12:07

    Bonjour
    Hans Jonas est celui qui se préoccupe de la vie des générations futures. il a élaboré une philosophie que je qualifierai d’actualité. mais qu’en est-il de sa conception de la liberté (de l’inorganique à l’organique)? nous savons tous qu’on ne peut pas parler de responsabilité sans d’abord faire mention du concept de liberté! alors je vous pose cette question: quels sont les grands axes de la liberté jonassienne à partir de sa philosophie de la biologie.?