RSS
 

L’ontologie de Hans JONAS vue par Carlo FOPPA

07 Avr

Carlo FOPPA - l'ontologie de Hans JONAS

Lors de ma maîtrise de philosophie, j’ai été amené à lire un grand nombre de commentateurs de l’oeuvre du philosophe allemand Hans JONAS. Si la littérature qui lui est consacrée est surtout négative et particulièrement critique, certains proposent des analyses plus fines, par exemple Carlo FOPPA ou encore Paul RICOEUR. Concernant ce premier, je vous conseille notamment « L’ontologie de Hans JONAS à la lumière de la théorie de l’évolution« , que l’on peut trouver dans l’ouvrage collectif Nature et descendance, Hans Jonas et le principe « Responsabilité » (Dennis Müller et René SIMON éd.).

Pour rappel (Cf. articles précédemment publiés et notamment mon mémoire), Hans JONAS défend une ontologie moniste, notamment au travers de la théorie de « l’affirmation de l’être », mise en exergue au travers du vivant et du métabolisme. Tentant de réintroduire le finalisme dans la compréhension du vivant, Hans JONAS semble alors tenir un discours en opposition avec le discours scientifique : « Il est évident qu’une telle démarche n’est pas sans risques, et surtout que Jonas devient, ce faisant, la cible des scientifiques, qu’ils soient ou non positivistes« . La problématique est alors la suivante : peut-on concevoir le vivant selon une perspective téléologique, sans cependant être en contradiction avec les sciences, et notamment la biologie ?

La thèse de Carlo FOPPA est la suivante : « Placée dans sa juste perspective, l’ontologie de JONAS révèle les implications philosophiques de la théorie de l’évolution et permet de dépasser la phase explicative du discours scientifique pour aboutir à une compréhension globale de l’Etre« . Il nous invite donc à distinguer, dichotomie classique en philosophie, d’une part l’explication (la science) et, d’autre part, la compréhension (ici : la métaphysique). Mais la théorie de JONAS n’en est que plus dure à cerner car elle s’appuie très fortement sur des données scientifiques (l’évolutionnisme, « inventé » par DARWIN) tout en refusant son soubassement : le dualisme (grosso modo : la séparation corps / esprit, avec d’un côté l’explication physico-chimique, et de l’autre une compréhension téléologique).

Pourquoi fonder son ontologie sur la théorie de l’évolution ?

Pourquoi Hans JONAS a-t-il décidé d’assoir son ontologie sur l’évolutionnisme ? Pour FOPPA, il y a deux raisons essentielles à cela :

  • DARWIN a, ce faisant, réhabilité la nature (il lui a rendu sa dignité)
  • l’évolutionnisme est, intrinsèquement, une sorte d’auto-dépassement du dualisme de la science classique

FOPPA relève d’autres raisons pouvant expliquer le choix de ce fondement chez Hans JONAS :

  • Hans JONAS conçoit une sorte de finalité sans fin, ce qui semble être ce qu’on trouvait déjà chez DARWIN (la sélection naturelle n’est pas une sélection opérée par la nature : pas de fin visée en tant que telle)
  • « Si nous avons une obligation vers la nature parce qu’elle nous a produits, et qu’elle nous a produits parce qu’elle a évolué, alors il est assez clair que l’évolution mérite une considération particulière » : l’évolutionnisme est au coeur de l’éthique jonassienne de par l’origine ontologique de la notion de responsabilité
  • La notion de hasard, au coeur de l’évolutionnisme, est capitale puisque la conception jonassienne de l’homme (« l’idée d’homme ») est profondément celle du possible, de l’ouverture : « ce qu’il s’agit de préserver activement, c’est précisément cette part d’indétermination, cette ouverture de l’humanité à des individus toujours différents et surprenants ainsi que l’éclosion inattendue de l’humanité commune de grandes oeuvres ou de grandes découvertes« 
  • La notion de continuité est essentielle dans le darwinisme, tout comme dans la philosophie de Jonas : c’est grâce à cette notion qu’il adopte une compréhension téléologique du vivant. De fins non conscientes (finalité sans fins), on s’élève progressivement par degrés jusqu’à la conscience humaine (fins conscientes)
Hans Jonas - ontologie et théorie de l'évolution
Hans JONAS

Une philosophie de la biologie plus qu’une philosophie de la nature : science et métaphysique

Carlo FOPPA analyse alors le texte de JONAS (Le fardeau et la grâce de la mortalité) pour appuyer son interprétation de JONAS : « la démarche de Jonas est métascientifique : il n’interprète pas la nature, mais il interprète une interprétation de la nature, c’est-à-dire que la sienne est bien une philosophie de la biologie plus qu’une philosophie de la nature« . Autrement dit, JONAS ne conteste absolument pas la valeur du discours scientifique dans la sphère de l’explication causale, mais lui adjoint une compréhension métaphysique, notamment pour la question du pourquoi. « Il y a donc une profonde ambiguïté dans la théorie de l’évolution en ce que, d’une part, elle tente d’expliquer le réel selon un paradigme mécaniste et, de l’autre, elle contient des implications qui vont au-delà du soubassement moniste du mécanisme. Or, étant donné que ces implications sont d’ordre philosophique tout d’abord, ce n’est que dans une perspective philosophique, et non pas scientifique au sens classique, qu’il est possible d’identifier ces implications« . La biologie explique le vivant : Hans JONAS admet cela sans aucun problème. Mais la biologie est totalement insuffisante pour le comprendre. C’est pour cela qu’il propose une sorte de vision complémentaire de la biologie.

Par exemple, l’émergence de la pensée, de la conscience, ne peut s’expliquer totalement par des causes mécaniques, physico-chimiques, telle que les mutations. L’évolutionnisme élimine, par principe, toute téléologie dans son explication de la nature, mais une partie de son explication a pour fondement une prétention métaphysique, considérée à tort comme une hypothèse scientifique. Croire que la science épuise le réel, c’est déjà adopter un système métaphysique et sortir de la science. Il faut donc distinguer entre la méthode et l’ontologie. Si la science doit évacuer toute trace de finalisme selon une nécessité méthodologique évidente, cela n’implique en rien qu’il faille faire de même concernant la compréhension du monde : « si pour un certain nombre de raisons on procède comme si la propriété « x » n’existait pas dans l’objet observé, cela ne veut pas dire que la propriété « x » n’existe pas dans la réalité« . Bref, méthodologie et ontologie sont bel et bien deux choses à ne pas confondre. La science ne doit pas être ontologie : elle basculerait alors dans le réductionnisme matérialiste. Si la science respecte ses limites (l’explication basée méthodologiquement sur le matérialisme), il reste une place pour une approche compréhensive de type métaphysique. C’est dans cet espace qu’intervient Hans JONAS.

Carlo FOPPA insiste ainsi sur la distinction cruciale entre trois niveaux différents :

  • les faits
  • l’explication
  • la compréhension

Pour FOPPA, JONAS « ne conteste ni les faits, ni l’explication de l’évolution, ce qu’il conteste, c’est la prétention de ces deux registres à épuiser la totalité du discours« . Même si DARWIN a évacué la notion de finalité au profit de la sélection naturelle pour des raisons méthodologiques, la compréhension du vivant nous conduit à conserver une approche téléologique (une finalité sans fin). « Nous n’irons pas jusqu’à prêter des propos jonassiens à Darwin, mais il nous paraît intéressant de nuancer la prétendue élimination définitive de la téléologie par la théorie du vivant« . Il est tout simplement faux de dire que la science interdit toute approche téléologique du vivant.

Conclusion

La force de ce commentaire éclairé et éclairant de FOPPA est d’éviter les lectures rapides de JONAS qui le font souvent apparaître comme un illuminé, un descendant de TEILARD de CHARDIN. N’oublions pas que JONAS a consacré un part importante de sa vie à la biologie. De ce fait, il nous propose une ontologie qui tient compte tout autant du savoir scientifique que de ses réflexions métaphysiques de philosophe majeur du XXème siècle.


 
2 commentaires

Classé dans hans-jonas

 

Réagissez

 

 
  1. patrick

    7 avril 2010 à 14:14

    il est cool ton nouveau design :)

     
  2. Jefsey

    10 juin 2011 à 2:49

    Il semble que deux éléments soient oubliés ici.

    1) le dernier paragraphe de Darwin dans le texte anglais de son livre de référence qui fait explicitement référence à la téléonomie divine. Absent dans le texte français.

    2) le nom pris pour le territoire en anglais. Une explication détaillée du concept de sélection naturelle en français lèverait bien des ambiguité dans la confusion scientifique créée par Darwin.

    3) nous savons maintenant mathématiquement que le hasard n’existe pas et que tout dépend de conditions initiales que nous ne savons pas mesurer, mais qui existent au delà de notre perception.La difficulté étant de les calculer, non que le calcul en soit impossible, mais de la raison antérieure qui justifierait la raisonnabilité du calcul.

    Existerait-il une brève introduction à la pensée de Jonas. Je ne suis pas tant intéressé par la pensée générale de tel ou tel, mais par ce que chacun a pu apporter en terme d’architectonie cohérente de l’univers